par Shimon Samuels et Alex Uberti
Paris, le 16 juillet 2025 (clôture du 47e CPM)
Site du patrimoine mondial
En 2017, l’Autorité palestinienne s’est vu attribuer « la vieille ville d’Hébron/Al-Khalil » par le Comité du patrimoine mondial (CPM) de l’Unesco.
Le CPM reconnaît, en particulier, l’architecture de « la période mamelouke, entre 1250 et 1517. Le centre d’intérêt de la ville était le site de la mosquée Al-Ibrahim/le tombeau des Patriarches, dont les édifices se trouvent dans l’enceinte construite au Ier siècle de notre ère pour protéger les tombes du patriarche Abraham/Ibrahim et de sa famille ».
Ce que le CPM omet de mentionner, c’est que le complexe a été construit à l’origine par le roi de Judée, Hérode le Grand, et qu’il se situe au-dessus de « la grotte de Machpelah », où se trouvent les tombes en question. Ces dernières ont près de 4 000 ans et, selon la tradition biblique, ce sont les lieux de sépulture d’Abraham avec sa femme Sarah, d’Isaac avec sa femme Rebecca et de Jacob avec sa femme Léa. Cette grotte représente donc le deuxième site le plus saint du judaïsme, après le Mur occidental et le mont du Temple, à Jérusalem.
Depuis que le site d’Hébron est également devenu un lieu de pèlerinage et de culte pour le christianisme (à partir de l’an 320 de notre ère environ) et pour l’islam (à partir de l’an 640 environ), il est considéré comme sacré par les trois religions monothéistes. Il est ainsi devenu objet de discorde dans le conflit séculaire entre les royaumes chrétiens et les empires arabo-musulmans, les Juifs étant pris entre le marteau et l’enclume : tolérés un jour, persécutés le lendemain.
Quand l’une des deux superpuissances religieuses parvenait à s’emparer de la Terre sainte, elle limitait l’accès des lieux saints aux religions antagonistes. D’ailleurs, sous la domination arabe, mamelouke puis ottomane, le tombeau des Patriarches était généralement interdit à la communauté juive, même à celle qui vivait à Hébron. Les Mamelouks interdisaient aux Juifs d’entrer dans le site, ou ne les autorisaient à descendre dans le puits d’accès que jusqu’à la cinquième marche, puis jusqu’à la septième marche. Cette restriction humiliante pour les Juifs a également été adoptée sous le mandat britannique, comme une mesure d’apaisement envers l’autorité religieuse musulmane (le Waqf).
Les massacres d’Hébron
En 1929, Hébron a été le théâtre de l’événement le plus monstrueux, qui a marqué un tournant dans les relations arabo-juives. À la fin du mois d’août, une foule arabe a lancé une attaque préméditée et coordonnée sur le quartier juif d’Hébron, tuant 67 habitants et faisant plus de 50 blessés. Les survivants et la police ont été témoins de viols, de tortures et de mutilations. Des maisons, des commerces, des synagogues et un hôpital ont été pillés et détruits. La police locale a été débordée et, dans certains cas, complice. Dans les jours qui ont suivi, les 435 Juifs survivants ont été évacués par les autorités du mandat britannique. Les morts ont été profanés et jetés dans une fosse commune.
La nouvelle du massacre a fait la une des journaux du monde entier. C’était la première fois que des nationalistes arabes panislamiques utilisaient un prétexte fallacieux comme outil efficace de propagande et d’incitation à la violence. Ils alléguaient que les Juifs avaient l’intention de s’emparer d’Al Aqsa (le mont du Temple à Jérusalem). Le mouvement sioniste – soit l’émancipation des Juifs, leur autodétermination et le retour de la diaspora sur sa terre natale, d’où elle avait été exilée pendant plus de deux millénaires – fut qualifié de « menace pour l’islam ».
Pour mettre ces événements en contexte, dès 1923, une série d’incidents moins lourds anti-juifs s’était déjà produite. En 1928, le Grand Mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini, idéologiquement proche des Frères musulmans nouvellement fondés – il deviendrait plus tard un admirateur et un collaborateur de l’Allemagne nazie – prononça des sermons antisémites enflammés, truffés de théories du complot et de fausses accusations, alimentant la haine des Juifs. Il faisait aussi lancer des briques et des excréments du haut du mur des Lamentations sur les fidèles juifs.
Tout au long des années 1930, bien que les Juifs aient à nouveau pu se rendre à Hébron, souvent sous protection policière, les tensions restaient vives. De multiples attaques terroristes ont entaché le mandat britannique et ce, jusqu’à la guerre d’indépendance. Bien qu’Israël ait gagné la guerre de 1948, la Jordanie a occupé et annexé la Cisjordanie, et aucun Juif n’était autorisé à visiter le Tombeau. Dans les années 1960, la Jordanie a même détruit plusieurs bâtiments historiques qui l’entouraient.
Après la guerre des Six Jours, en 1967, Israël a pris le contrôle de l’ancien lieu saint, mais la grotte a été scellée. Les négociations avec le Waqf se sont achevées avec l’ajout d’une petite synagogue sur les lieux, avec un accès autorisé les jours de Roch Hachana et Yom Kippour. Ce qui a déclenché au fil des ans des attaques terroristes arabes contre les fidèles. L’attentat le plus meurtrier a eu lieu en 1980, lorsqu’un escadron palestinien a assassiné six jeunes Juifs sortant de l’enceinte du tombeau des Patriarches (un Canadien, deux Américains et trois Israéliens), faisant aussi vingt blessés. Les quatre terroristes impliqués appartenaient au Fatah, certains avaient été entraînés en Union soviétique, en Syrie et au Liban.
L’un de ces terroristes en particulier, Tayseer Abu Sneineh, après avoir été arrêté et condamné à la prison à perpétuité en Israël, a été libéré lors d’un échange de prisonniers, quelques années plus tard. En 1993, dans ce qui semblait être une compensation pour son attaque terroriste (dans l’esprit de la politique du « payer pour tuer »), il a été nommé membre du Waqf à Hébron, administrant la mosquée Al-Ibrahim, avant de devenir maire de la ville, en 2017.
En 1981, lors d’une audacieuse opération, les Juifs locaux ont réussi à enlever la pierre donnant accès à la grotte de Machpelah. Cependant, de par les accords d’Oslo (1993) et de Wye River (1996), l’Autorité palestinienne et le Waqf local allaient décider de limiter l’accès au site, tandis que l’État d’Israël acceptait de préserver le statu quo, en particulier après un massacre commis en 1994 sur les lieux par un extrémiste juif.
Au cours de la 41e réunion du CPM à Cracovie, en juillet 2017, Shimon Samuels, alors directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal, reçut une note l’informant qu’à quelques mètres de lui était assis le maire nouvellement élu d’Hébron, ce même Tayseer Abu Sneineh, qui avait perpétré le massacre d’Hébron en 1980. M. Samuels, choqué, interpella le CPM pour dénoncer la présence d’un meurtrier dans la salle. Le Comité archiva sa protestation et vota en faveur de la cession de « la vieille ville d’Hébron/Al-Khalil » à l’Autorité palestinienne.
Qu’en est-il de la justice ?
Aujourd’hui, une communauté juive hétéroclite vit à Hébron et dans ses environs, et les visiteurs ne manquent pas. Mais l’accès pour les Juifs à certaines parties de la grotte de Machpelah est toujours limité à seulement dix jours par an.
Le tombeau des Patriarches demeure fondamental pour le judaïsme, tout comme le mont du Temple à Jérusalem. Néanmoins, la communauté internationale, par le biais de l’Unesco et du CPM, a attribué ce site hautement sensible et fragile à une Autorité palestinienne égarée : elle manque de légitimité électorale depuis 2006, elle est déchirée de l’intérieur par des factions terroristes, gangrenée par la corruption et une mauvaise gestion, ambiguë dans ses relations avec ses voisins, à peine capable de remplir ses responsabilités quotidiennes...
Le fait que les lieux saints juifs restent interdits aux Juifs est une anomalie exclusive, un vestige du passé colonial du califat islamique, des royaumes des Croisés, de l’Empire ottoman et du mandat britannique... En comparaison, l’accès à la basilique Saint-Pierre n’est pas refusé aux chrétiens, ni La Mecque aux musulmans. En outre, La Mecque est exclusivement réservée à ces derniers.
Bien que les lieux saints juifs bâtis avant la naissance des autres religions monothéistes soient généralement traités par tous avec respect, il est ironique, voire déchirant, que seuls l’État juif et le peuple juif se voient refuser la possibilité d’accéder à des sites qui appartiennent à leur propre patrimoine, et dont ils ne peuvent prendre soin.
Alors que les fidèles de toutes les religions peuvent aller toucher le mur des Lamentations, pourquoi les Juifs ne peuvent-ils pas prier librement sur le tombeau des Patriarches ou sur le site du temple de Salomon ? Est-ce une bataille qu’il faut laisser aux extrémistes, ou est-ce plutôt une question d’humanité partagée et de justice à discuter entre les petits-fils d’Abraham ?
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Shimon Samuels est l’ancien directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal
Alex Uberti est chercheur indépendant et chef de projet pour CSW-Europe
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