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Par le directeur des Relations internationales du Centre, Shimon Samuels

Paris, le 17 décembre 2020

Cette semaine, la cour d’assises spéciale de Paris a rendu son verdict. À la barre : quatorze complices des attentats terroristes des 7 et 9 janvier 2015, dont le bilan s’élève à onze morts parmi l’équipe de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo ainsi qu’un gardien de la paix, une policière tuée à Montrouge et quatre morts au supermarché Hyper Cacher.

Pour ces quatorze inculpés, les peines allaient de quatre ans de prison à la réclusion à perpétuité. Trois d’entre eux ont été condamnés par contumace. Sur les onze accusés présents, six ont été moins pénalisés, pour crimes non terroristes.

Les personnes identifiées comme complices ont été inculpées pour financement, fourniture d’armes et autres soutiens aux terroristes.

Deux d’entre elles ont été condamnées à trente ans de prison : Ali Riza Polat, qui avait planifié les attentats, était présent au tribunal et il fera appel ; l’autre, Hayat Boumeddiene, aurait trouvé refuge en Syrie auprès de l’État islamique. Elle était la compagne d’Amedy Coulibaly, qui a été tué par la police lors du siège de l’Hyper Cacher. C’est elle qui a acheté les armes. Elle aurait prévu d’attaquer une école juive, mais l’aurait trouvée trop bien gardée et a donc choisi la supérette casher.

Charlie Hebdo avait été la cible des djihadistes, aussi bien avant que depuis l’attaque de 2015, parce qu’y avait été publiée une série de caricatures se moquant du prophète Mahomet. Ces caricatures ont ouvert un débat ininterrompu sur la liberté d’expression et la laïcité d’inspiration napoléonienne, sacro-sainte en France.

Entre 2004 et 2008, deux procès séparés avaient été intentés, l’un contre l’ancien directeur de publication de Charlie Hebdo, l’autre contre le Centre Wiesenthal représenté par M. Samuels. Tous deux avaient été amenés à comparaître au nom des lois pénales en matière de diffamation. La Cour de cassation avait finalement donné gain de cause à M. Samuels. Une victoire pour la liberté d’expression juive.

En 2015, à Paris et dans toute la France, d’immenses rassemblements et défilés arboraient des banderoles au nom de « Je suis Charlie, je suis juif, je suis policier ». Malheureusement, plus d’un a pensé que, sans le massacre de Charlie Hebdo, la cible juive de l’Hyper Cacher serait passée sous silence.

La justice a souvent été inadéquate pour la communauté juive de France :

- Procès d’Hassan Diab pour l’attentat d’octobre 1980 contre la synagogue Copernic, qui a fait 4 morts et 42 blessés. Diab a été retrouvé au Canada et extradé en 2014. Son procès à Paris s’est achevé en janvier 2018, avec sa « libération » et son « évasion » à Ottawa, malgré des appels toujours en instance contre lui.

- Clôture de l’affaire contre le meurtrier de Sarah Halimi, qui a défénestré cette femme juive de 65 ans en criant des malédictions en arabe. Les accusations ont été rejetées au motif qu’il avait agi « sous l’influence de stupéfiants ». Un dernier appel est en instance.

- La violence contre les Juifs semble avoir été punie avec un certain laxisme, car les juges ne pouvaient concevoir que des musulmans nés en France, victimes du racisme, puissent eux-mêmes en devenir les auteurs.

- L’attentat de la synagogue Copernic, en 1980, a été le premier d’une série de vingt-neuf attaques à la mitraillette et à la bombe contre des cibles juives en France, attaques qui ont duré jusqu’en 1982. Walid Abdulrahman Abou Zayed, l’auteur présumé de l’attentat de la rue des Rosiers contre le restaurant Goldenberg, perpétré en août 1982, vient d’être extradé de Norvège pour être jugé à Paris. Il est accusé d’être l’un des quatre terroristes de l’Organisation Abou-Nidal qui ont tué six personnes et en ont blessé vingt-deux. La France a également émis des mandats d’arrêt internationaux contre les trois complices présumés d’Abou Zayed, deux en Jordanie et un en Cisjordanie palestinienne. Nous sommes impatients de voir ce procès commencer sous peu.

D’ici là, on peut s’attendre à d’autres violences antisémites de la part d’aspirants djihadistes. Après la manifestation de 2015 à Paris pour protester contre les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, le président Hollande avait placé des hommes armés devant les synagogues, les écoles et les institutions juives. Lors d’une rencontre avec le ministre de l’Intérieur de l’époque, je lui avais énuméré les forces qu’il avait déployées pour la sécurité de cette manifestation : le nombre de policiers, de gendarmes, de militaires, d’agents de sécurité et d’hommes en civil... Je lui avais demandé que, quand viendrait le jour où les soldats postés devant notre bureau seraient retirés – sans doute pour des raisons financières –, il annonce la présence continue d’officiers en civil, même s’il n’y en avait pas.

L’état de siège a pris fin, les soldats ont disparu et la requête d’hommes en civil a été oubliée. Ceux qui réclament justice voudraient que les familles des victimes et les rescapés obtiennent quelque apaisement. Feu Simon Wiesenthal demanderait, en de telles circonstances, que la statue de la Justice aux yeux bandés soit déboulonnée, faute de tenir en équilibre les deux plateaux de sa balance, celui du crime et celui du châtiment.

Les procès des attentats de 2015 symbolisent cette inégalité : les condamnations permettent difficilement de tourner la page.