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Editorial de Shimon Samuels publié en anglais dans The Jerusalem Post
le 13 juin 2012

https://www.jpost.com/Opinion/Op-Ed-Contributors/Football-and-the-Jews

Dans ma jeunesse passée en Angleterre, le football n’était pas considéré comme un passe-temps convenable pour un petit Juif...

... En conséquence, mon appréciation passive du « beau jeu » était platonique : c’était un « jeu » pour les footballers, du « tonique » pour moi.

L’ouverture des championnats Euro 2012, le 8 juin à Varsovie, a été pour moi une véritable révélation.

J’étais l’invité de l’organisation FARE (Football contre le racisme en Europe) ainsi que de l’association polonaise « Never again », en collaboration avec l’UEFA (Union européenne des associations de football). Mon invitation faisait suite à une victoire sans précédent du Centre Wiesenthal, en octobre 2011, à Buenos Aires. Nous y avions protesté contre des slogans antisémites proférés par un club junior populaire, Chacarita. La réponse de l’Association argentine de football avait été de retirer des points à ce club, ce qui avait entraîné son déclassement dans la ligue nationale.

Cette règle, devenue historique en tant que punition exemplaire à l’UEFA (la section européenne de la FIFA), a eu pour conséquence ma participation au lancement d’une campagne très élaborée, qui avait pour slogan : « Respect – Diversité – Le foot rassemble. » Michel Platini, président de l’UEFA, a défini « la diversité dans le football comme un microcosme de la diversité dans la société », instaurant un livre blanc de  « degré zéro de tolérance contre la xénophobie sur les terrains de jeu ».

En 1989, avec la chute du mur de Berlin et le vide postcommuniste qui s’est ensuivi, les vieux fantômes du nationalisme et de l’antisémitisme ont resurgi dans les Etats d’Europe centrale et d’Europe de l’Est où l’Holocauste avait pris place. Tout comme un « membre fantôme », un membre avait été amputé, mais celui-ci démangeait encore et demandait à être gratté. Les Juifs avaient disparu, mais les préjugés avaient du mal à mourir, et la haine des Juifs s’est déplacée du discours politique aux terrains de football.

Dans les années 1990, en partenariat avec le British Council, nous applaudissions déjà le travail de FARE, qui encourageait les services d’ordre des clubs anglais – confrontés à des chants « simiesques » et à des actes de violence contre des joueurs africains au Royaume-Uni – à  conseiller leurs homologues en Tchéquie et en Slovaquie, où les Tsiganes étaient – et sont encore – une cible privilégiée.

Organiser les championnats de l’Euro 2012 en Pologne, et spécialement en Ukraine, relève d’un défi majeur, dépeint de manière criante dans « Stadiums of Hate » (Stades de la haine), un documentaire diffusé sur la chaîne de télévision de la BBC « Panorama » et disponible sur YouTube. L’association polonaise « Never again » a formé un service d’ordre à identifier de tels symboles nazis, ainsi que le « Pouvoir blanc », les saluts hitlériens « Sieg Heil » et toute incitation à la violence durant les matches de l’Euro. FARE organise des tournois de football locaux pour les enfants sur des mini-terrains improvisés, des « Streetkicks » ; chaque match s’accompagne d’arguments antiracistes et de méthodes d’inclusion sociale. Les arbitres y reçoivent la consigne de suspendre ou d’arrêter tout match où un joueur fait l’objet d’insultes ethniques.

Les joueurs qui ont participé à l’Euro 2012, et à qui l’on a montré le documentaire « Terezin : le Führer donne une ville aux Juifs », ont été choqués d’apprendre que l’équipe de football qui jouait dans ce film, à l’occasion d’une visite de la Croix-Rouge, avait été, après le tournage, envoyée à Treblinka et gazée dès son arrivée.

Il est plus difficile de savoir s’y prendre avec les hooligans locaux purs et durs et les visiteurs d’extrême-droite. Il suffit de quelques-uns pour démolir un jeu organisé pour tous, malgré toutes les affiches qui avaient été placardées dans tout Varsovie, de la plus grande zone de fans jusqu’au sinistre « Valhalla Viking Pub ».

Au cours du lancement officiel au ministère polonais des Affaires étrangères, un groupe de joueurs afro-européens célèbres, victimes de la haine au football, a témoigné devant un public compatissant.

Gareth Crookes (Royaume-Uni) : « Une banane est tombée à côté de moi. Je l’ai ramassée, épluchée et mangée, puis j’ai lancé la peau aux spectateurs. Tout le monde a applaudi quand j’ai continué à jouer, mais j’en ai eu une terrible indigestion. »

Paul Elliott (Royaume-Uni) : « Je jouais lamentablement quand la banane est tombée. J’ai beaucoup mieux joué dans la seconde moitié du match, et quand un journaliste m’a demandé : “Qu’est-ce qui s’est passé ? ”, j’ai vanté les valeurs nutritives de ce fruit ! »

Ruud Gillet (Pays-Bas) : « Il fallait que je fasse mieux que les autres parce que j’étais le seul joueur noir de l’équipe. Alors je me suis adapté : si quelqu’un poussait des cris de singe à mon égard, j’estimais que c’était parce que j’étais bon. Maintenant, il y a beaucoup plus de Noirs dans l’équipe, alors ils [les racistes] doivent faire plus attention. »

Ces réponses font penser à feu Simon Wiesenthal et à sa conviction que l’humour a un pouvoir de défense. En effet, une bonne plaisanterie fait l’effet d’une grenade – elle peut faire voler en éclats une théorie du complot et révéler l’absurdité d’un stéréotype.

Dans la vieille ville reconstruite de Varsovie, des marchands ambulants vendent toutes sortes d’horribles effigies en argile représentant des hassidim en train de compter des pièces d’or. A 11 heures du matin, le jour du match d’ouverture de l’Euro entre la Pologne, équipe hôte, et la Grèce, un des stands présentait plus d’une centaine de ces figurines. A 5 heures de l’après-midi, quand je suis retourné sur ce stand, il n’en restait plus que deux. Le vendeur m’a expliqué que les fans les achetaient comme porte-bonheurs. Mais la magie hassidique n’a apparemment pas fonctionné ce jour-là : le match d’ouverture s’est achevé en match nul un à un, ce qui a mis en sourdine la célébration nationale.

Etait-ce la fascination, l’antisémitisme, la superstition, ou un mélange de tout cela qui motivait les acheteurs de « Juifs grippe-sous » ? Wilfried Lemke, conseiller spécial en sport auprès du secrétaire général des Nations unies pour le Développement et la Paix, a inoculé une lueur d’espoir : « Le football a le pouvoir de changer le monde », a-t-il dit.

Mais il peut aussi mettre le feu aux poudres, comme lors des émeutes qui ont enflammé la Coupe du monde de la FIFA en 1969, une véritable « guerre du football » de quatre jours qui a opposé le Honduras au Salvador.

Dans toute l’Amérique du Sud, ainsi qu’en Europe, le football peut être considéré comme une religion, avec ses saints et ses prêtres ; pour la plupart, ces amateurs de football ne sont pas concernés par le Moyen-Orient et ses conflits. Formeraient-ils un nouveau groupe d’amis du peuple juif ?

Pendant ce match inaugural, quand je me suis retrouvé dans la « zone de fans » au beau milieu de plus de cent mille Polonais surexcités qui arboraient leurs couleurs nationales rouge et blanc, je me suis fait remarquer en portant la seule chemise  bleu et blanc de toute cette foule. J’attirais des regards curieux, et quelqu’un m’a demandé si j’étais un fan de leur rival grec. « Israël », ai-je répondu. « Shalom », a rétorqué mon voisin.

Alors, quelle est cette révélation qui m’a été donnée au cours de cet épisode de Varsovie ? Que le football est effectivement un passe-temps convenable pour un petit Juif.

L’auteur de cet article est directeur des Relations internationales du Centre Simon-Wiesenthal.