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Éditorial de Shimon Samuels publié en anglais dans The Jerusalem Post
le 25 novembre 2019

https://www.jpost.com/Diaspora/French-Jewry-unites-to-discuss-response-to-antisemitism-609005

Liberté, Égalité, Fraternité pose des défis particuliers à la communauté juive française

25 Nov. 2019
Un gendarme inspecte des croix gammées peintes sur le mur d’une ancienne synagogue
convertie en centre culturel à Mommenheim, près de Strasbourg (photo Reuters).
 

Le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) vient de clore sa dixième convention nationale, intitulée « La France fracturée. Peut-on s’unir contre l’antisémitisme ? ». 

En tant que membre de la Commission d’études politiques du Crif, le Centre Simon Wiesenthal y participait. Les intervenants provenaient de tous les milieux : politiques, religieux, intellectuels et journalistiques.

La plupart des présentations se centraient sur l’analyse de la spécificité de l’antisémitisme français dans le cadre de la devise chère à la République, Liberté, Égalité, Fraternité. Ces valeurs étaient placées dans le contexte de la laïcité, à laquelle s’oppose la menace du communautarisme.

L’émancipation officielle des Juifs sous la Révolution française en est un bon exemple. Une forme d'émancipation scellée par la déclaration de Stanislas de Clermont-Tonnerre, député à l’Assemblée révolutionnaire de 1789 : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus », concept qui sera entériné par Napoléon.

Pendant près d’un siècle, l’expression « Heureux comme un Juif en France » devint la réponse de la communauté juive, avant que l’affaire Dreyfus, en 1894, ne la réduise en cendres. La France était déchirée par le procès pour trahison de ce capitaine juif accusé à tort, avec la vague d’antisémitisme qui s’ensuivit et qui incita Theodor Herzl à publier son manifeste historique L’État juif.

De la collaboration du régime de Vichy avec le national-socialisme à la maladresse révélatrice du Premier ministre Raymond Barre, qui déclara quand survint en 1980 l’attentat de la synagogue Copernic : « Cet attentat odieux qui voulait frapper les Israélites et qui a frappé des Français innocents », en passant par la qualification des Juifs donnée par Charles de Gaulle en 1967 de « peuple dominateur » – l’antisémitisme demeure vivace.

« Il faut tout accorder aux Juifs comme individus ! Il faut tout refuser au peuple juif et à son communautarisme souverain – l’audace d’un État juif ! »

Prenant la parole à cette convention du Crif, l’ancien président de SOS-Racisme et ancien député PS, Malek Boutih, brisait des tabous : « Aujourd’hui, il n’y a aucun endroit en France où les Juifs puissent se sentir en sécurité – du fait de la terreur islamiste, du nationalisme populiste et de la pression exercée par le conflit au Moyen-Orient sur l’opinion publique… Les antisémites adaptent leur discours pour contourner la loi. »

La réponse se trouve dans l’éducation de la société : « Liberté, Égalité, Fraternité – et une cuillerée de Laïcité ! »

Les participants à la convention ont exprimé leur indignation face à la marche contre l’islamophobie du 10 novembre parce que des manifestants arboraient une étoile jaune, s’appropriant ainsi l’étoile de David imposée aux Juifs par les nazis.

Comme outils d'éducation, entre autres panacées, ont été proposés des voyages de lycéens à Auschwitz, des témoignages de victimes du terrorisme, et une Charte de la laïcité dont les piliers seraient la Liberté et l’Égalité et l’objectif, la Fraternité !

« La République est exigeante avec les citoyens, mais également bienveillante » – sauf, bien sûr, quand il s’agit de course aux élections municipales, régionales et parlementaires, quand les données démographiques déterminent qui va voter pour qui. À cela s’ajoutait la critique d’autres démocraties – les États-Unis et le Royaume-Uni – « où le communautarisme semble prendre de l’ampleur ».

Le 3 décembre, la définition de l’antisémitisme donnée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) doit être débattue à l’Assemblée nationale. 127 de ses 577 membres l’ont déjà signée. L’attaque de l’opposition a commencé avec une quarantaine d’ONG propalestiniennes et les voix des politiciens de certains partis signifiant leur colère devant l’équation « antisémitisme = antisionisme ».

Au dîner du Crif, en février dernier, Emmanuel Macron s’était engagé à adopter la définition de l’IHRA.

Sa définition complète inclut une annexe avec des listes d’exemples. Afin d’obtenir un plus large soutien, certains intervenants privilégiaient un vote sur la définition de base, proposant de n’ajouter les exemples qu’à l’intention des enseignants, policiers et juges, pour que ces exemples leur servent de guide.

Les juges ont bien besoin de leçons sur l’antisémitisme, car ils pratiquent actuellement une politique des portes tournantes : ils ont du mal à imaginer que les victimes de racisme peuvent en devenir les bourreaux. Ils placent les assassins d’une rescapée de la Shoah à l’hôpital en séjour longue durée pour qu’on vérifie leur santé mentale ou leur dépendance à l’alcool ou aux narcotiques, en total déni de justice et de dangerosité des assassins pour la société.

Partie d’un débat intellectuel, l’ambiance est devenue plus ciblée : « L’antisionisme en tant que camouflage de l’antisémitisme » ; « Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) en tant que résurgence de la politique nazie Kauft nicht bei Juden ! (« N’achetez rien aux Juifs ! ») ; et la question de la sécurité des Juifs au quotidien.

Après le massacre de Charlie Hebdo et l’attentat contre le supermarché Hyper Cacher, le président Hollande avait instauré l’état d'urgence, puis le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, avait annoncé le déploiement de la police, des Forces spéciales et de personnel militaire pour protéger les sites juifs sensibles. Des soldats en armes avaient été placés en sentinelles devant les synagogues, les écoles, les centres communautaires et les institutions juives.

Au cours d’un entretien que j’avais eu avec M. Cazeneuve, je lui avais suggéré d’annoncer que mille hommes en civil remplaceraient les militaires, une fausse information qui avait pour but de dissuader les terroristes éventuels. Mais les militaires sont partis et le ministre n’a pas obtempéré.

La convention du Crif s’est terminée avec l’allocution de l’actuel ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, sur ces sommations :
- l’antisémitisme et l’antisionisme sont des attaques contre la République
- tout appel à boycott sera puni
- nous prévoyons d’accroître la protection des sites sensibles, tels les synagogues et les centres communautaires.

La mise en œuvre de cette politique pourrait bien dépoussiérer l’expression « Heureux comme un Juif en France ! ».

L’auteur de ces lignes est le directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal.