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Article de Marvin Hier et Abraham Cooper publié en anglais dans The Hill
le 7 avril 2021
https://thehill.com/opinion/civil-rights/546564-hitlers-1936-olympics-antics-are-a-lesson-for-helping-chinas-uyghurs

« La liberté n’est pas un don du ciel. Il faut se battre pour elle tous les jours », déclarait le rescapé autrichien de l’Holocauste Simon Wiesenthal. Il le savait par sa propre expérience. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les nazis avaient assassiné quatre-vingt-neuf membres de sa famille. Le 5 mai 1945, Wiesenthal était trop faible pour accueillir les soldats américains qui étaient entrés dans le camp de concentration de Mauthausen, alors il a rampé depuis son baraquement et il s’est effondré dans les bras d’un GI. « Je ne pouvais pas détacher mes yeux du drapeau américain », a-t-il raconté. « Chaque étoile était, pour moi, un symbole de liberté, de toutes les bonnes choses qui nous avaient été enlevées. »

Ce jour de Yom HaShoah, ou Journée du souvenir de la Shoah – qui commence aujourd’hui au coucher du soleil et se termine jeudi par une commémoration des Journées du souvenir –, soulève de nombreuses questions urgentes, dont la recrudescence de l’antisémitisme. Aux États-Unis et au Canada, les Juifs sont la cible numéro un des crimes haineux. Il y a un déficit de mémoire croissant au sujet de la Shoah, qui ouvre les vannes du négationnisme, de la déformation et de l’appropriation des symboles des meurtres nazis de six millions de Juifs.

Peut-on encore tirer aujourd’hui les leçons de l’Holocauste ? Plus que jamais, les horribles vérités de la Shoah nous parlent de choix qui nous défient tous.

En 1936, le monde décida que la seule façon de sevrer Adolf Hitler de son dogme raciste et de sa haine viscérale des Juifs était de faire défiler les athlètes de chaque pays devant le Führer aux Jeux olympiques de Berlin. Une pincée d’amour olympique valait mieux que d’attiser la colère d’Hitler. Mais en réalité, la route de l’enfer qu’a été l’Holocauste a traversé ces Jeux olympiques, pavés non pas tant de bonnes intentions que d’aveuglement.

Hitler est venu assister à ces Jeux en pensant que c’était un moyen de camoufler le mal diabolique du nazisme, et d’acquérir un prestige personnel ainsi que du temps pour construire sa puissance militaire. Dans son livre Jeux d’Hitler : les Jeux olympiques de 1936, Duff Hart-Davis détaille le processus qui a mené au triomphe d’Hitler cette année-là.

Le président du Comité olympique allemand était le Dr Theodor Lewald. Tout au long des années 1920, il a fait pression pour le retour de l’Allemagne aux Jeux olympiques. En 1932, l’Allemagne a obtenu les Jeux de 1936. Comme l’écrit Duff-Hart, cette même année, Hitler a qualifié les Jeux olympiques d’« invention des Juifs et des francs-maçons» et de « pièce de théâtre inspirée du judaïsme, qui ne peut être montée dans un Reich gouverné par les nationaux-socialistes ». Puis Hitler a pris le pouvoir et Lewald s’est vu menacé de destitution pour le péché d’avoir un grand-parent juif.

Hitler a changé son fusil d’épaule pour les Jeux olympiques, mais pas pour les Juifs. Le 2 juin 1933, le Dr Bernhard Rust, ministre de l’Éducation, donna l’ordre d’exclure les Juifs des groupes de jeunesse et associatifs. À leur crédit, trois membres du comité américain – le général Charles Sherrill, le colonel William May Garland et le commodore Ernest Jahncke – exigèrent que le Comité international olympique (CIO) se retirât si l’Allemagne ne garantissait pas que Lewald conserverait ses fonctions et que la discrimination à l’encontre des athlètes juifs serait révoquée. Ainsi, les responsables nazis firent de Lewald leur homme de paille pour mentir au monde en assurant que toutes les règles olympiques seraient respectées et que les Juifs allemands ne seraient pas exclus de l’équipe nationale.

Tout le monde savait que c’était une cruelle plaisanterie. Un diplomate américain à Berlin a décrit les déclarations de Lewald comme « un écran pour dissimuler la discrimination qui avait réellement cours ». La vérité est que ni les protestations ni les résolutions n’avaient d’effet sur les nazis, et ils n’ont pas caché leur mépris pour les idéaux olympiques.

Comme cité par Robert Weisbord dans Questions raciales dans les Jeux olympiques modernes, Bruno Malitz, dirigeant sportif des Troupes d’assaut de Berlin, a écrit : « Il n’y a pas de place dans notre pays allemand pour les dirigeants sportifs juifs et leurs amis infestés par le Talmud, pour les pacifistes, les catholiques politiques, les paneuropéens et les autres. Ils sont pires que le choléra et la syphilis, bien pires que la famine, la sécheresse et les gaz toxiques. »

Pour calmer les protestations grandissantes, Avery Brundage, le principal promoteur américain des Jeux, a été contraint de faire un voyage d’étude en Allemagne. Dans la foulée, les nazis ont annoncé que vingt et un athlètes juifs allemands avaient été sélectionnés pour suivre un entraînement olympique. Mais à ce moment-là, la vicieuse campagne antisémite était si évidente que Brundage ne pouvait que dire que la participation aux Jeux olympiques ne signifierait pas nécessairement un soutien au régime nazi. Fort de sa promesse qu’aucun athlète juif ne serait exclu, Brundage rentra chez lui et persuada le Comité olympique américain de participer aux Jeux.

Douze jours après le départ de Brundage, sept athlètes juifs allemands sélectionnés pour les essais olympiques furent retirés des essais qualitatifs. Il fut interdit à toutes les associations sportives allemandes d’avoir des contacts avec des non-aryens. Cette règle fut sommairement appliquée au lutteur noir Jim Wango, âgé de 38 ans, qui battit un lutteur blanc après l’autre. Julius Streicher mit personnellement fin à la carrière de Wango en déclarant que c’était « un appel aux êtres inférieurs, aux sous-humains, que de mettre un nègre en vue et de le laisser rivaliser avec des Blancs ».

Cet incident à lui seul aurait dû mettre fin aux Jeux olympiques de Berlin, mais ce ne fut pas le cas. Le comte Henri de Baillet-Latour, président du CIO, rendit visite à Hitler en octobre 1935 et déclara au New York Times qu’il n’y avait aucune raison de se retirer des Jeux. Lorsqu’on lui signala que le club de natation Lake Shore de Chicago, qui se trouvait à Berlin pour une compétition avec l’équipe olympique allemande, avait découvert des slogans « Les Juifs ne sont pas les bienvenus ici » placardés sur les entrées des bains municipaux, il répondit que ce qui l’intéressait, c’était la situation pendant les Jeux olympiques, et non pas dans l’histoire passée.

Hitler gagna cette guerre sans tirer un coup de feu. Au début des Jeux olympiques d’hiver de 1936, son ministre de la Propagande Joseph Goebbels déclara : « Durant ces semaines, nous souhaitons prouver au monde que c’est purement et simplement un mensonge que de dire que les Allemands persécutent systématiquement les Juifs. » C’était un mensonge que le monde voulait croire.

Aujourd’hui, il y a de nouvelles routes pavées de bonnes intentions. Il semble, par exemple, que des conseillers du Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, ont étudié la route menant aux Jeux olympiques de 1936 en ce qui concerne le redémarrage potentiel de l’accord nucléaire de 2015, accord connu sous le nom de Plan d’action global commun, que les États-Unis sont prêts à poursuivre. Nos diplomates devraient peut-être faire de même.

À l’occasion du 85e anniversaire du triomphe d’Hitler, en ce jour de Yom HaShoah, le Comité olympique américain devrait exiger que le CIO déplace les Jeux olympiques de 2022 de Chine vers un pays asiatique démocratique. Les musulmans ouïghours malmenés en Chine n’en méritent-ils pas tant ? Un tel geste rapporterait une médaille d’or digne de nos athlètes et de nos valeurs.

Le rabbin Marvin Hier est fondateur et doyen du Centre Simon Wiesenthal.
Le rabbin Abraham Cooper en est le vice-doyen et directeur du département international de l’action sociale.